lundi 7 mars 2011

Quelques nouvelles plus ou moins fraîches

Ouf ! Je commence ce billet par une petite anecdote qui illustre notre vie périlleuse à souhait. Lundi dernier, vers 16h30, je commence à trouver qu’il fait froid dans notre logement alors je monte le chauffage, pour me rendre compte qu’il ne fonctionne plus. Petit détail qui a son importance, quand la nuit s’annonce plutôt frisquette, pour dire le moins. Par un heureux hasard, Dave, le gars de la maintenance, est dans le village pour faire des réparations à l’école, alors il vient voir de quoi il s’agit et il se rend compte de ce qui était mon hypothèse, soit qu’il n’y avait tout simplement plus d’huile dans la sorte de bidon qui alimente la fournaise depuis l’extérieur de la maison. Dave part donc à la recherche des camionneurs censés livrer l’huile, mais ils ne sont pas en état de conduire, puisqu’ils sont, disons, dans un autre état… Maudite boisson. Heureusement, le gars qui conduit le camion d’eau peut aussi conduire le camion d’huile, et après qu’il ait rempli notre bidon et que Dave ait saigné notre fournaise (entendre, enlever l’air des tuyaux de la patente), nous sommes sains et saufs pour la nuit. Fiou ! Inutile de dire qu’il n’y a plus de service de ce genre ici après 6h du soir, alors si cet incident s’était produit un peu plus tard, nous aurions été quittes pour une nuit digne du bon vieux temps !

Comme certains l’ont appris via Facebook, j’ai eu l’occasion il y a deux semaines d’être, l’espace de trois jours, conducteur attitré du pick-up scolaire… Elijah, le chauffeur habituel, a été évacué du village par voie aérienne suite à un ennui de santé, alors, en plus de jouer au professeur d’arts plastiques je me suis improvisé chauffeur d’autobus. Rien d’extraordinaire, si ce n’est qu’en faisant le tour du village j’avais de beaux points de vue sur la rivière gelée et les montagnes enneigées, tandis que 20, 30 ou 40 enfants se tenaient dans la boîte du pick-up par des froids de canaille. Je roulais en moyenne à 20-25 km, pas attaché, avec deux ou trois enfants à côté de moi dans l’habitacle, et en peaufinant mon inuktitut en écoutant la radio locale… Une belle expérience, quoi !

Jeudi dernier, les négociateurs de l’Entente Finale sont venus au village expliquer de quoi il en retournait, et j’ai assisté à cette rencontre au gymnase de l’école. C’est alors que j’ai appris que l’une des négociatrices de l’entente pour les Inuit était originaire de Kangirsuk, ainsi que la traductrice. C’est peut-être pour ça qu’il y a eu la plus grosse assemblée depuis le début de la tournée des villages, aux dires des organisateurs (peut-être une centaine de personnes). Je pensais simplement prendre le pouls de la rencontre et revenir à la maison, mais comme il y avait la traduction simultanée je suis resté jusqu’à la fin. Je n’ai pas appris grand-chose de nouveau mais j’ai bien aimé lorsque les aînés sont allés au micro raconter leur jeunesse, ou lorsqu’une femme s’est mise à rêver que le Nunavik devienne une province à part entière ! Il y avait quelques étudiants du secondaire du côté anglo, ce qui a dû faire plaisir à leur professeure qui leur parle ces temps-ci de ce processus politique. D’ailleurs, la semaine précédente l’un des anciens dirigeants de Makivik, Zebedee Nungak (le père d’un employé de l’école, Joe, qui est le « behavior tech », soit le gars qui passe dans les corridors pour ramener les brebis égarées dans l’enclos, lorsqu’ils se dissipent dans les corridors ou vont fumer dehors…) était venu s’entretenir avec les élèves de ce qu’était l’Entente. Je ne comprenais rien car il parlait en inuktitut, mais comme il écrivait des dates au tableau je pouvais savoir de quoi il parlait. Il s’est montré très critique de l’Entente finale, ce qui m’a surpris. D’ailleurs, son frère Harry était l’autre négociateur pour les Inuit à la table de négociations (en plus de la dame qui vient de Kangirsuk) et quand je lui ai parlé j’ai su que son frangin avait fait exprès de ne pas être au village quand Harry viendrait, pour plutôt aller défendre son point de vue dans un autre village du côté de la Baie d’Hudson. Lors de la rencontre de jeudi, j’ai aussi pris conscience du fait que la Convention de la Baie James a beaucoup divisé les familles, un peu comme les référendums sur la souveraineté ont pu le faire pour nous. Certains étaient d’accord avec la Convention, d’autres pas, et cela a entraîné des disputes familiales très douloureuses.

Si je résume les réserves de M. Nungak à propos de l’Entente finale (qui ont aussi été évoquées à la rencontre de la semaine dernière), avec lequelles je suis en désaccord, elles concernent le fait que le futur gouvernement serait public et non ethnique, et aussi que ce gouvernement serait sous la juridiction de Québec, une province potentiellement séparatiste. Il se demandait aussi si l’Entente à venir modifierait les dispositions de la Convention de la Baie James et pourquoi le futur leader du gouvernement régional n’aurait pas plus d’indépendance par rapport au gouvernement du Québec. J’espère ne pas travestir la pensée de M. Nungak en relatant dans ces grandes lignes, de mémoire, ce qu’il a dit dans son résumé en anglais de son exposé aux élèves. Si je ne suis pas d’accord avec lui, c’est que je crois que ses craintes ne sont pas fondées ou alors qu’il est impossible de changer quoi que ce soit à la situation. Ainsi, toute entente sur une éventuelle autonomie du Nunavik sera nécessairement sous la juridiction du Québec (et du Canada) puisque la région fait partie intégrale du Québec. Et pour ce qui est du gouvernement ethnique, si les Inuit avaient négocié ce genre de gouvernement ils n’auraient eu des pouvoirs que sur leurs municipalités, et non sur l’ensemble de la région, comme ce sera éventuellement le cas (je vous épargne les détails techniques). Et dans ce contexte, il était impensable qu’une démocratie comme celle du Québec-Canada accepte qu’une nouvelle forme de gouvernement, inédite au pays, voire dans le monde, soit basée sur des critères essentiellement ethniques…

À la décharge de Zebedee Nungak, il faut dire qu’il a insisté sur le fait que tous devraient se questionner à propos de l’Entente et ne pas avoir peur de chercher des réponses à leurs interrogations et à exprimer leur point de vue. Pour ma part j’espère que les gens voteront en faveur de l’Entente, car ce serait un pas dans la bonne direction. Mon feeling, c’est que l’Entente va passer, parce que c’est Makivik (l’institution qui gère les fonds issus de la Convention, et qui a un grand pouvoir économique et politique) qui l’a négociée, et je pense que les gens expriment surtout leurs craintes mais que la plupart voteront en faveur. Sinon, ce sera le statu quo et les revendications inuit seront encore davantage dans une impasse. À suivre.

Je termine ce billet par une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est que le maire du village est décédé en fin de semaine « Up River », comme disent les gens ici, c’est-à-dire aux campements de pêche qui se trouvent à deux ou trois heures de motoneige du village. Apparemment, son ski-doo se serait renversé sur lui… Nous connaissons l’une de ses filles et aussi l’un de ses fils, et des élèves de Marie font aussi partie de la famille… Alors il y aura, encore une fois, malheureusement, des funérailles à l’école cette semaine, et aujourd’hui Marie-Conjonctivite avait congé. Ce qui est une bonne chose car elle a pu passer la journée en compagnie de sa mère, qui est arrivée hier pour nous rendre visite ! Nous n’avons pu la recevoir avec entrain, à l’aéroport, car des proches du défunt arrivaient au même moment. Loulou se réjouit d’être ici et elle est emballée par ce qu’elle voit jusqu’à présent. C’est intéressant d’avoir le point de vue de quelqu’un qui a des yeux neufs sur la situation du village, et qui s’émerveille de tout, alors que nous sommes habitués à plein de petits détails que nous ne remarquons plus. Dimanche, de nombreuses élèves de Marie sont venues souhaiter la bienvenue à Loulou (elle ne veut pas que je l’appelle Louise…), et quelques-unes s’étaient même mises belles pour l’occasion ! Et deux des filles en ont même profité pour s’inviter à souper, un peu plus tard, et elles ont bien appréciés la bouffe que j’avais préparée !Sur ce, je vous souhaite une belle semaine dans la neige... de notre côté, le froid est toujours au rendez-vous !

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