dimanche 26 septembre 2010

Une expérience ethnologique

Salut, bande d’impatients !


Assis en face de la belle Marie, à la table de la cuisine, je pitonne sur mon ordi tandis que votre blogueuse préférée fait de même… Nous avons transformé notre salle à manger en mini-salle de presse !

Je commence par quelques petites nouvelles, avant de vous parler de l’expérience ethnologique qui a donné son nom à ce billet.

Tout d’abord, nous avons eu un très beau souper hier, agrémenté d’une délicieuse pièce de caribou. Aloupa, l’un des commissaires de l’école, dont la fille est dans la classe de Marie, nous a gentiment donné deux kilos de caribous il y a quelques semaines, pour nous souhaiter la bienvenue et pour remercier Marie d’être venue enseigner ici. Voilà qui s’appelle un beau cadeau et une belle hospitalité !

La pièce en question était superbe, sans os, et nous avons décidé d’en faire un genre de bourguignon au four. Sauf qu’en enlevant les nervures et le peu de gras qu’il y avait, je me suis rendu compte que nous allions peut-être faire des cubes et massacrer deux kilos de filet mignon de caribou, ou en tout cas d’une pièce qui méritait de meilleurs égards.

Tandis que je sniffais compulsivement la bête en question, pour m’imprégner de ses parfums sauvages (ce qui excédait ma belle), Marie avait une peur bleue qu’on manque de bouffe. Je la rassurais, le couteau de boucher à la main, en arguant que mon œil de lynx voyait là de la nourriture en quantité suffisante pour nos convives. Vous en jugerez par vous-même, en voyant ces photos :




Bref, car il me faut abréger, ma crainte que la viande s’avère coriace n’était pas fondée, elle était au contraire succulente, tendre et goûteuse ! Le tout fut accompagné de bonnes patates pilées, d’une délicieuse salade préparée par Marc-André et Laure, de deux pains frais, dont un aux figues séchées, fait le jour même par Pierre-Luc, de deux bonnes bouteilles de vin, d’une croustade aux pommes savoureuses, de biscuits au chocolat divin (merci Julie !) et d’agréable compagnie ! Oui, on peut dire que nous avons fait bombance, et que ce premier souper en sol « Nunavikois » fut une réussite !

J’ai aussi une bonne nouvelle à vous annoncer : je termine mon remplacement à l’école cette semaine ! Janie, la nouvelle prof au secondaire, devrait arriver cet après-midi. Après une transition de quelques jours, je lui lègue les enfants. Je commençais à m’habituer, je trouvais que petit à petit ils travaillaient parfois un peu, pas trop quand même, quelques dizaines de minutes par jour tout au plus, ils étaient sur le point de faire, peut-être, leur premier apprentissage de l’année, et voilà que je les laisse entre des mains plus compétentes. Mais c’est la vie, que voulez-vous !

Je ne suis pas optimiste, pourtant, pour la suite des choses, car je suis presque certain que du travail m’attend, à l’école, comme remplaçant dans d’autres classes, ou alors ailleurs dans la communauté… Moi qui pensais que le Nord m’annonçait du temps pour écrire et tourner des images, et pour enfin réaliser un de mes rêves, soit celui d’être une personne à charge ! Je suis condamné à l’autonomie, faut croire.

Bon, j’en viens finalement à cette expérience ethnologique. Mardi dernier, une de mes élèves les plus sympathiques, Pasha, m’a invité à aller à l’église pentecôtiste du côté du Northern (c’est le nom du magasin général, d’où l’appellation « Northern side » ou « Coop side » pour désigner un endroit dans Kangirsuk), car le soir elle et d’autres jeunes allaient y danser. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, j’aurai dû me douter que ce serait de la danse à vocation religieuse, mais honnêtement je croyais surtout que les ados se servaient du lieu comme d’un sous-sol d’église ou d’une salle communautaire, pour simplement « chiller ». Yo.

Alors Marie et moi avons pris une marche de santé jusqu’au Northern side, et nous avons trouvé « l’église » (une baraque qui ne paie pas de mine) derrière deux maisons, non loin du parc (un gros rectangle en asphalte). Quand nous sommes entrés dans le vestibule, Marie, fidèle à ses convictions et constatant qu’il s’agissait vraiment d’un lieu de culte, a décidé de rebrousser chemin. Quant à moi, comme j’avais été gentiment invité par une élève et que j’étais curieux, je suis entré dans l’église à proprement parler.

Laura, une de nos collègues, racontait alors quelques épisodes de sa vie (son mariage, pourquoi elle était revenue à Kangirsuk, etc. , sans doute à la demande des jeunes) à une douzaine d’adolescents qui, aussi incroyables que cela puisse paraître ici, l’écoutaient attentivement ! Et ce, pendant une bonne dizaine de minutes ! J’ai tout de suite eu une idée, celle de transférer l’école dans l’église ! Parmi ces fidèles, il y avait une élève de Marie, Saviluk, ainsi que quatre de mes élèves en secondaire 1 ou 2 : Pasha, Janice, Mary et Nancy. Les jeunes avaient entre 8 et 14 ans, je dirais. Laura leur a parlé puis a lu un psaume à ses ouailles. Devant l’autel, il y avait une pile de Bibles pour ados sur le sol, dans des étuis en cuirette sur lesquels étaient inscrits : « Redeemed » ou « Redeem » (rédemption ? le fait d’être sauvé?).

Le décor de l’église était baroque : nous étions dans une sorte de roulotte dont les murs de plywood étaient peints en blanc, avec des chaises confortables, bleues et amovibles. Il y avait, bien sûr, un poêle sur la droite, et derrière, dans une bibliothèque cheapette, des livres à vendre pour édifier la jeunesse chrétienne : « Love and Dating » (sur les vertus de l’abstinence avant le mariage) ainsi que deux ou trois livres d’un preacher afro-américain… Il y avait aussi, si ma mémoire est bonne, des CD de chansons à propos de Dieu et de Jésus dans la bibli. Devant, il y avait l’autel, sur lequel on retrouvait, en plus de l’endroit pour le prêche (j’ai oublié le nom du meuble sur lequel on dépose la Bible et derrière lequel le prêtre se place), une batterie, des instruments de musique, un système de son et un projecteur. Et bien sûr, sur le mur du fond, une croix assez grande, faite de deux morceaux de bois enrobés de papier d’aluminium.

Je reviens à mon histoire. Quand Laura eut terminé de parler, les jeunes se sont, sans surprise, activés… D’abord, Pasha s’est mise à la batterie et une autre fille jouait des accords sur une guitare électrique un peu désaccordée, tandis que les autres jeunes, munis de deux ou trois micros, chantaient en chœur une chanson qui célébrait l’éternité de Dieu et sa force incommensurable, laquelle chanson était projetée sur le mur via une acétate. Inutile de dire que ça faussait mes amis !

Puis la croix en aluminium a été décrochée, et on est passé aux choses sérieuses. Au son d’une chanson soft-rock à caractère religieux, pendant qu’une des ados tenaient la croix bien haut, tous les autres jeunes se sont mis à faire des cercles autour d’elle, en mimant les paroles de la chanson, en s’agenouillant. La chorégraphie était très réussie, comme toutes celles qui ont suivi d’ailleurs. Après deux chansons en anglais, deux chansons en inuktitut ont suivi, dont une à la mélodie assez accrocheuse, sur un genre de musique techno-électro ! Mais ma préférée entre toutes fut celle dont le refrain était « Funky Jesus Music » ! On a aussi eu droit à du hip hop, puisque les ados en sont friands.

J’aurais bien aimé avoir ma caméra pour filmer tout ça, et j’espère que ce sera possible éventuellement de le faire. Pendant que les jeunes dansaient et se recueillaient (car ils ont aussi prié), j’étais souvent perdu dans mes réflexions. Je me disais notamment que les missionnaires avaient fait du sacré beau boulot ici, et dans le Nord en général… Évidemment, les Inuit sont libres de croire en ce qu’ils veulent, et ce n’est pas à moi de critiquer cela. D’un autre côté, il est indéniable que leur croyance en Jésus-Christ est le fruit d’un endoctrinement (d’une conversion forcée ?), le résultat de la rhétorique des missionnaires qui, il va sans dire, a des siècles de succès derrière elle. On est donc ici en présence d’un reliquat de l’impérialisme culturel canadien (et québécois) dans le Nord.

En tout cas, c’est assez particulier de voir des jeunes Inuit, habillés comme n’importe quel ado nord-américain, dont les grands-parents devaient avoir des croyances toutes autres que les leurs, se trémousser au son de chansons chrétiennes. Sans doute que les Inuit étaient, à la base, des gens très croyants, et que le christianisme est simplement venu changer la nature de ses convictions spirituelles.

Il faut aussi dire que dans une société sans repères, où beaucoup d’adultes sont tout croches, où le sens de la vie apparaît incertain, l’église, ses rites, la communion qu’elle suppose, représente pour ces jeunes un havre de paix, un phare dans une communauté pas mal perdue. Leur foi est sincère, et le bonheur qu’ils avaient à se retrouver ensemble, à danser sur des musiques qu’ils aiment, était manifeste.

Je vous laisse cogiter là-dessus…

Nicolas XX








2 commentaires:

Alexandre Guay a dit…

Impérialisme canadien?
Dans ce cas de figure on s'attendrait à que ce soit des catholiques ou des anglicans, pas des pentecôtistes. Tu leur demanderas de quand date l'arrivée du pentecôtisme, si ça se trouve c'est très récent.

Manel B a dit…

J'ai entendu dire qu'il y a des pentecôtistes au Québec depuis bien longtemps...des petits groupes mais extrêmement pratiquants! c'est vrai que c'est étonnant qu'il y en ai dans le grand nord, où est passé leur croyance envers les esprits et la nature? Est-ce que ça a disparu?