Bon, Marie m'a quelque peu devancé en publiant ses photos du boeuf musqué sur Facebook, sans doute parce qu'elle était jalouse qu'à titre de remplaçant de service, je n'ai pas à me farcir la pédago du samedi. Être bouche-trou a des avantages, tout de même. Quoique Marie a été touchée et motivée par la formation, qui portait sur l'intimidation (et dont elle vous parlera dans son excellent prochain billet...).
Je commence donc par le récit détaillé de notre aventure matinale avec un boeuf musqué.
Il était encore tôt et, ô surprise, l'auteur de ces lignes, votre humble serviteur, était néanmoins debout et (presque) frais comme une rose. 8h30, un samedi, et j'étais debout. Incroyable mais vrai. Vous pouvez désormais m'appeler Early Bird, et non Grosse Marmotte. Marie était déjà partie à l'école, mais j'ai entendu cogner à la porte. C'était ma belle tigresse qui revenait et, de sa voix criarde elle me dit : "Y'a un boeuf musqué ! Y'a un boeuf musqué !"
Depuis la fenêtre de notre salon, nous apercevions déjà la bête, et nous sommes accourus pour l'observer de plus près. Plusieurs Inuit, dont beaucoup d'enfants, étaient rassemblés autour de l'animal et un homme cherchait à lui faire faire demi-tour. Le boeuf musqué est un drôle d'animal, tout droit sorti, on dirait, de la préhistoire. Un boeuf avec des grosses cornes, un pelage de mammouth et qui court vite pour sa grosseur ! Nous l'avons donc suivi dans ses déambulations dans Kangirsuk. Il s'est immobilisé pendant long moment entre deux maisons, et plusieurs personnes essayaient alors de le chasser en lui lançant des objets (2x4, roches, ou en faisant rouler des pneus jusqu'à lui) et en soulevant les bras pour lui faire peur. Parfois le boeuf faisait mine de charger mais il ne le faisait pas, le seul à reculer étant moi, vous connaissez mon côté Daniel Boom ! Les enfants riaient de ma pleutrerie, il va sans dire... Finalement, au bout d'une bonne demi-heure, le boeuf s'est enfui en direction du dépotoir, quand un Inuit l'a pourchassé en scooter. J'ai filmé l'animal majestueux sur la caméra de Marie (qui était retournée à sa formation), alors pour ceux que ça intéresse, on regardera ça à Noël!
Sinon, ce fut une très belle semaine ! À l'école, ça va mieux ! J'ai presque aimé ça, c'est tout dire. Mais comme une hirondelle ne fait pas le printemps, je ne m'attends pas à ce que ces quatre jours soient garants de l'avenir... Il faut dire aussi que j'ai demandé à mes élèves de faire eux-mêmes les cartons pour notre système de récompenses, et que cette activité nous a pris deux jours entiers... pour faire une douzaine de cartons qui mentionnaient les règles que nous voulons instaurer et le nom des élèves. Ça vous donne une idée de la vitesse à laquelle les jeunes travaillent !
Hier après-midi, il n'y a pas eu d'école, car il y avait une activité en lien avec la journée du suicide, et après celle-ci tous les élèves (primaire et secondaire) ont saisi l'occasion pour se pousser ! Il faut dire que l'autobus était déjà là...
Si j'ai bien compris, cette activité avait lieu dans tous les villages, à la même heure, où il y avait un rassemblement où tous les habitants étaient conviés. Nous nous sommes mis en rond, en nous tenant la main, et les gens ont prié Dieu en leur demandant de leur venir en aide par rapport à ce fléau qu'est le suicide. Comme vous le savez, le taux de suicide au Québec est très élevé, et sans connaître les chiffres je suis presque certain qu'il est encore plus haut ici. En plus, comme la communauté est petite, environ 500 habitants, tout le monde connaît quelqu'un qui s'est déjà enlevé la vie. Quand on sait qu'une personne qui en connaît une autre qui s'est suicidée a je ne sais plus combien de chance d'attenter à sa propre vie, c'est désespérant de penser à la situation qui prévaut vraisemblablement ici. D'ailleurs, j'ai appris cette semaine que les deux parents de l'une de mes élèves se sont suicidés. Ayoye.
Tout ça pour dire que nous formions un grand rond et qu'à tour de rôle, des femmes et des hommes du village se sont mis à prier en Inuktitut. La plupart du temps, ils restaient à leur place mais un homme puis une femme (des pasteurs ?) sont aussi venus au milieu du cercle et ils ont lu des passages de la Bible en Inuktitut. C'était un moment très touchant car à un moment donné, la complainte d'une femme s'est élevée avec plus de force, d'intensité et d'émotion, et une autre femme s'est mise à pleurer en se lamentant, sa plainte formant une sorte de contrepoint aux paroles de la première. La veille, nous avions d'ailleurs eu une discussion avec une prof qui en est à sa quatrième année ici et qui nous disait que les Inuit manifestent peu leurs émotions, sauf lors des funérailles où ils se laissent aller et pleurent tout leur soûl. Je ne sais pas si l'activité d'hier entrait dans la catégorie des "cérémonies" qui servent d'exutoire, mais la femme dont je viens de parler se lamentait d'une manière qui semblait exagérée, comme s'il s'agissait d'une sorte de mise en scène. Je ne dis pas ça négativement, car sa peine était réelle, et les femmes qui se trouvaient autour étaient elles aussi émues jusqu'aux larmes. Et moi aussi ! J'ai seulement eu le sentiment qu'il y avait quelque chose d'exalté dans ses sanglots, comme s'il était permis dans ce contexte d'afficher ses émotions. Quoi qu'il en fût, c'était émouvant de sentir toute cette douleur et de songer qu'ici, comme je le disais précédemment, le suicide semble être un fléau particulièrement dévastateur.
Sur ce, chers amis, je vous laisse car la marée est à son plus bas, alors nous allons tenter d'aller chercher des bonnes moules !
Nicolas XX
2 commentaires:
Cher Nicolas
Non seulement tu es rendu un matinal mais je constate que tu es un routinier. Le samedi est ta journée préférée pour nous laisser de tes nouvelles ! C’est difficile de t’imaginer avec le bœuf, c’est bien toi qu’on voit de dos sur la photo ?? Quelle histoire ! Je crois qu’il faudra dormir toute la famille ensemble au moins deux jours pour faire le tour de vos vidéos !
Pas évident ces histoires de suicides. Je suis toutefois ‘’ heureuse’’ de constater qu’ils organisent des activités de sensibilisation.
Sur un tout autre sujet mais tout aussi intéressant, je suis allée ce midi me procurer ton livre. A la librairie A lire à la Place Longueuil. 3 exemplaires en tablette. J’ai pris ma photo et supplié la libraire pour qu’elle s’en procure tout plein de copies. Prochaine étape, la tournée de mes bibliothèques.
Bonne semaine … et à samedi ?
Non Josianne, ce n'était pas moi l'homme courageux qui tentait de faire fuir le boeuf musqué, mais plutôt un Inuit du village. J'étais pas mal plus loin derrière, caché et protégé par une dizaine d'enfants !
Merci pour le livre, je suis bien content d'apprendre qu'il y en avait à la Place Longueuil ! Et merci aussi de faire ta tournée des biblis. T'es fine !
J'espère que Déjà te plaira, et (peut-être) à samedi...
Nicolas XX
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