samedi 28 août 2010

Mieux vaut tard que jamais

Bon, le voici, ce premier message de la part de "l'enfant à charge", alias Nicolas !



Marie écrit si bien, dans un style si vivant et drôle, que j'ai de la pression ! Je tâcherai, dans la mesure du possible, de ne pas répéter ce qu'elle a déjà dit.



Deux semaines après notre arrivée à Kangirsuk, nous avons enfin droit à une première fin de semaine de repos. Enfin, presque, puisque Marie compte aller travailler demain après-midi (dimanche) et que nous hébergerons un enseignant d'un autre village pour quelques jours à partir de demain itou.



Si j'ai tant tardé avant d'écrire sur le blog, c'est que ma belle tigresse monopolise toujours Internet ! Sérieusement, c'est que je n'avais pas l'énergie nécessaire pour vous écrire un beau grand message. Les deux premières semaines ont été éreintantes, le premier mot qui me vient en tête pour les qualifier étant: ouf !



Si je résume, j'ai commencé à travailler à l'école moins de 24h après mon arrivée ici, principalement à déplacer des boites dans l'école et à faire du ménage. Puis, à partir de jeudi, j'étais remplaçant au secondaire ! Je le suis encore d'ailleurs, pour le meilleur et pour le pire (j'y reviendrai dans un autre billet). Alors depuis notre arrivée, notre vie gravite vraiment autour de l'école, qui est à un jet de pierre (c'est le cas de le dire, notre toit en étant plein...) de notre maison. Pas le temps de lire, d'écrire, de jouer avec la caméra ! Juste du travail. En plus, pour ceux qui connaissent ma tendance à faire la marmotte le matin, c'est difficile pour ma petite nature de me lever tous les matins vers 7h, 7h30 ! Le soir, nous nous couchons souvent autour de 10h, ce qui, dans mon cas, ne m'est pas arrivé sur une si longue période depuis fort longtemps !



Mes premières impressions du village sont très bonnes, nous avons une vue magnifique depuis notre maison, qui donne sur la rivière et ses marées. Les gens sont gentils, souriants, et nos élèves nous saluent dans la rue, le soir, quand nous allons prendre des marches, qu'ils soient venus à l'école ou non dans la journée... Et mis à part quelques irritants, notamment la lenteur de certaines démarches, pour obtenir les clés de l'école ou un filtre d'humidificateur par exemple, on se sent bien ici. Le village est entouré de petites collines, nous avons des vues splendides sur la rivière, les formations rocheuses sont intéressantes, il y a en ce moment beaucoup de bleuets à cueillir et nous sommes de plus en plus confortables dans notre appart, qui est très commode.



En fait, tout irait pour le mieux s'il n'y avait pas... l'école. Car c'est une chose que de travailler en fous (Marie encore plus que moi) pour que la rentrée se passe bien et que la planif soit faite, mais c'en est une autre que de se demander à quoi tout cela rime, à quoi ça peut bien servir. Je sais que c'est une question que bien des profs se posent, même au sud, mais ici, elle se pose de manière encore plus criante. Heureusement, Marie enseigne la base aux Inuit (un Inuk, des Inuit, donc pas de "s" au pluriel), soit l'alphabet et les maths. Elle pourra donc voir leurs progrès au fil de l'année, même si ceux-ci seront en dents de scie, tandis qu'au secondaire, on peut se demander ce qu'on fait ici puisque rendu à ce stade les élèves savent lire et écrire en français et ils ont appris les notions de base en math. Comme la plupart passeront leur vie ici, ou au Nunavik, qu'ils maîtrisent déjà l'anglais, qu'ils ont un emploi assuré, ou presque, à la municipalité, à l'école ou ailleurs, ils ne voient pas l'utilité de poursuivre des études et même de venir à l'école. Surtout quand ils sont assurés de réussir leur année scolaire, à supposer qu'ils viennent à l'école de temps à autre. Ce ne sont évidemment que des impressions qui demande à être raffinées, mais il reste que les élèves ici sont tous en retard par rapport au niveau académique où ils se trouvent: en 5e secondaire, par exemple, ils apprennent des notions qu'on enseigne généralement en secondaire trois, et c'est la même chose à tous les niveaux.



Bref, les élèves viennent à l'école quand bon leur semble, et ils y font la loi. Je me souviens de mon adolescence, j'aurais voulu me coucher à l'heure que je voulais tout le temps, sécher mes cours, arriver en retard au travail sans que cela ait de conséquences, être libre, en somme. Et bien ici, c'est exactement ça qui arrive, tout le temps. Ados de tous les pays, venez dans le grand Nord, c'est le paradis ! Il n'y a pas de structure ici pour encadrer les jeunes, je crois que c'est dans la mentalité. Les profs inuit eux-même arrivent en retard, et de manière générale ils ne semble pas exercer d'autorité sur leurs propres enfants. Alors imaginez instaurer un semblant de discipline à l'école. Il en résulte que les enfants grimpent dans les rideaux (au sens littéral du terme), qu'ils se mettent des ciseaux dans la bouche, se couchent au milieu de la classe, arrivent en retard, mettent leurs pieds sur les pupitres, entrent et sortent des classes à leur guise, ainsi de suite. Le tout sans conséquence. Ils viennent aussi à l'école quand bon leur semble, pour les plus vieux, et quand ils sont en classe, ils "travaillent" parfois une quinzaine de minutes, mais pas beaucoup plus ! Le paradis des anarchistes, je vous dis !



Bref, l'école ici, c'est n'importe quoi... Il y en aurait encore long à dire sur cette question, mais ce billet est déjà assez long comme ça. J'espère qu'il ne vous a pas trop semblé décousu et surtout que vous n'avez pas senti de ma part du mépris ou une condescendance à l'égard de ce qui se passe ici ou à l'égard des Inuit. Ce n'était pas mon but en tout cas, loin s'en faut, car mes questionnements quant au sens de ce que nous faisons ici, Marie et moi, et plus généralement quant à la pertinence de la présence blanche ici sont nombreux. Je compte bien approfondir ces premières ébauches au cours de l'année, car mon désir de comprendre la situation est grand. Il y a beaucoup de choses qui clochent ici, beaucoup d'hypocrisie il me semble de la part des blancs (pas nécessairement à titre individuel, mais au plan gouvernemental, collectif), et j'ai envie d'explorer tout ça.



Mais pour le moment, je compte bien profiter des prochains jours pour me reposer, car je ne travaillerai pas avant mercredi prochain. Les profs du secondaire ont une formation en science au début de la semaine prochaine (il y a tellement d'argent qui se dépensent ici, mais pas nécessairement où il faudrait...), alors comme je ne suis que remplaçant et que je suis le seul autre enseignant du côté franco et que les élèves n'auraient eu que la moitié de leurs classes, le secteur francophone de l'école est tout simplement fermé jusqu'à mercredi ! Pour ce que ça change...



Bon, à bientôt, et je tâcherai d'écrire un peu plus souvent,



Nicolas

8 commentaires:

Alexandre Guay a dit…

Dans une culture où les enfants sont ce qu'il y a de plus précieux et o,. en conséquence, ils n'ont aucune responsabilité avant d'être des adultes, l'école occidentale n'est pas particulièrement adaptée. Mais je suis sûr que vous trouverez des méthodes efficaces pour arriver à quelque chose.
Vous n'êtes pas au bout de vos surprises. Bon courage!

Anonyme a dit…

J'ai eu la même expérience que toi à Mistissinni, chez les Cris... Je crois que c'est ce qui se passe quand on essaie de plaquer un système sur une culture qui ne lui correspond pas. L'école n'a pas de valeur pour cette société qui a toujours valorisé la transmission du savoir autrement. Je suivrai attentivement ta réflexion sur le sujet parce que c'est une problématique qui me préoccupe beaucoup!

Bon séjour à vous deux et bonne "rentrée"!
Andréanne

Nicolas a dit…

Je suis bien content de lire le début de tes aventures scolaires. Ce que tu en dis fait écho à l'entrevue de l'anthropologue Louis McComber à l'émission Pourquoi pas dimanche ? avec Boël le Gigot ce matin. J'espère que tu auras l'occasion d'approfondir la question sous l'angle documentaire, comme tu avais l'intention de le faire.
Au plaisir de te lire mon cher !

Patrick a dit…

Qui l'eut cru t'es en train de te transformer en homme à tout faire. Bravo je suis fier de toi, tu commence enfin à avoir un horaire qui a du bon sens. Concernant la fatigue je te rappelle que tu n'a pas encore d'enfant donc en théorie ton sommeil n'est troublé que par des activités nocturnes...
Je tiens à vous félicité pour la tenu de ce blog très intéressant et j'espère que vous allez continuiner à le fournir en commentaires de toutes sortes. Vous êtes nos yeux dans ce coin de pays encore trop méconnu.
Salut Nic bonne soirée et embrasse Marie-Christine.
p.s. T'AS CHANGÉ!!!!

Jasmin a dit…

C'est bien vieux que tu puisses t'impliquer des le départ comme ca! Même si ce n’est pas facile ca devrait alimenter tes projets à venir. Marleine et moi aimons bien lire vos billets, alors svp continuer de nous informer. J’aime aussi voir les photos des paysages, des classes et du village. Ca semble vraiment être pleins de contrastes.

A plus

Jas

p.s. pas pire du tout la couverture de ton livre, tu devrais être fière…. Par contre, Marie-Christine, je veux voir la tronche des autres auteurs du village … pas certain que Nic est le plus sexy…

Nicolas a dit…

@Alex : Ce n'est pas la première fois que j'entends que les enfants Inuit sont libres, quoi que je me demande si c'est parce qu'ils sont si précieux... Disons que ça heurte en tout cas notre conception occidentale de ce qui est précieux, quand on voit des enfants de trois ans seuls dans la rue à 8h le soir, qui s'amusent avec des grosses tiges de métal servant à la construction des maisons... (ce qui n'est évidemment qu'un exemple parmi tant d'autres)

@Andréanne: tu as raison, on essaie ici de plaquer un système éducatif qui ne correspond pas à la vision éducative des gens, jadis basée sur la tradition orale. Le problème, me semble-t-il à première vue, c'est que l'école pourrait malgré tout être un facteur d'émancipation pour la population qui la refuse. La quadrature du cercle, quoi.

@ Nic: comme je m'en doutais, il y a ici matière à faire un bon documentaire je pense. Reste à trouver l'angle (j'y travaille) et aussi et peut-être surtout le temps de le mettre en oeuvre.

@Pat: oui, je fais de moi un homme !!! J'ai même monté un meuble genre ikea ++ avec un collègue ! Et le matin, à 7h, j'ai presque envie de me lever en même temps que Marie, j'ai de la difficulté à me rendormir... Je ne me reconnais plus, je crois que je suis malade...

@Jasmin: comme c'est un petit village ici, on dirait que j'ai plus le sens de la communauté qu'à Montréal, je me suis dès le début senti plus concerné par ce qui se passait, même si notre vie tourne surtout autour de l'école et de ce qui s'y passe.
Et c'est moi le plus sexy des auteurs, en passant... :P

Josianne et Bruno a dit…

Cher enfant à charge dite l'ancienne marmotte
On a lu ton billet tranquille à Tremblant, Bruno et moi. Ca a suscité des discussions intéressantes. On a hâte de les avoir avec vous deux par Skype :-)
Ca porte vraiment à réflexion.

1 semaine avant la sortie de ton livre, j'espère que tu as au moins le temps d'y penser !

Lionel Guay a dit…

Alex.(mon fils) vient justement de me demander par courriel, si j'ai des photos numérisées de Kangirsuk, où il a fait sa maternelle en innuktitut en 1977. J'aime tes réflexions justes sur ton expérience au Nord. Pourtant, il ne faudrait pas que ça devienne négatif au point de penser que tu n'as rien à faire dans ce coin de pays. Trop de "Blancs",devant de telles situations, ont démissionné et se sont contenté de "faire du temps" comme touristes payés. La situation est assez rapprochée de l'influence qu'ont les parents sur leurs enfants, même s'ils ont passé leur enfance et adolescence à considérer les parents comme des fardeaux et des obstacles à leur évolution.
Bon courage! S'il te venait l'idée de donner ton adresse électronique à Alexandre, je te ferai parvenir la mienne.